Nouvelles humoristiques

Une courte histoire de nain

Jeu de nain, jeu de vilain

Quand mon frère est né, pas le benjamin, qui d’ailleurs s’appelle autrement, mais l’autre, mon grand frère. Quand mon frère est né, dis-je, mon père venait tout juste d’arriver à la maternité. Apprenez que mon père est un ancien militaire qui a perdu une jambe à la Grande Guerre ; ce qui lui valut d’être immobilisé avant d’être démobilisé. Résultat : l’armée avait perdu un de ses membres, et mon père aussi. Pour l’éclat d’obus qui lui avait sectionné l’aine, c’est avec le même éclat que ses ainés le sanctionnèrent ! A lui l’unijambiste, c’est en grandeS pompeS que médailles et honneurs furent rendus. Ainsi, tout lui fut rendu… sauf sa jambe ! Ce qui lui en faisait une belle. Alors, remisant les médailles remises au fond d’un vieux tiroir, il se referma, lui aussi, et se mit à boire… bien autre chose que de l’eau qu’il accusait de tous ses maux. Putain de guerre. Saleté d’obus ! J’suis venu, j’l’ai bu, j’l’ai dans le cul ! criait mon père. Il criait aussi Veni, vidi, vichy ! Mais ça, César l’avait déjà dit en – 52 avant que Jésus crie lui-aussi.
Bref, tout cela pour dire que quand mon pater est arrivé à la mater il était à la bourre et bourré, et mon frère ainé était né ! Là, une infirmière l’attendait. « Monsieur, lui a-t-elle dit, vous avez un petit.
– Grande nouvelle, a marmonné mon père.
– Grande, non, c’est un nain.
Ha
Si. » a dit la dame.
Mon père s’est assis. « Remarquez, a dit mon père, cela devait arriver un jour.
– Pourquoi ? a demandé l’infirmière.
– Je suis de Denain.
– Demain ? a questionné l’infirmière qui était un peu sourde, vous savez, il ne faut pas remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui. Je le sais, je suis d’Hyères.
– Vous savez, moi… j’suis du nord.
– Du nord, a répété l’autre qui perdait le sien.
– Oui, de Denain, c’est comme demain, mais avec un ‘n’. Or, un ‘n’, c’est un ‘m’ avec une jambe en moins, comme moi quoi.
– Ha… a dit l’infirmière, à l’ouest.
– Si. » a dit mon père.
Elle s’est assise. Sur mon père. Toujours à l’ouest, mais assez leste.
Songeuse un instant, elle a finalement murmuré : « Vous savez, quand on ‘m’ il n’y a pas de place pour la ‘n’. L’amour avant tout. C’est dans l’ordre des choses d’ailleurs : le ‘n’ vient toujours après le ‘m’, comme le beau temps après la pluie ». Puis, elle a ajouté : « Vous avez apporté un doudou à votre fils ?
– Chez nous, on dit un nin-nin.
– C’est doublement de circonstance », a conclu l’infirmière, en quittant le genou de mon père.

Affecté d’avoir un fils nain, mon père souffrait en silence. Atteint par contrecoup d’une forme rare de nanisme, il se tassait, se refermait sur lui-même. Ses idées se racornissaient, ses opinions raccourcissaient ; en un mot, il avait attrapé la honte. Son épouse n’en pouvait plus. Un jour, elle lui dit : « je te quitte ». Alors, il dit…vorca, et le soir, arrosant ça, il dit : « Vodka ».

Par la suite, mon père s’est remarié et a eu deux autres fils : mon petit frère et moi.
Au début, j’ai trouvé normal que mon frère aîné grandisse mal : vu qu’il était mon demi-frère, il n’était pas étonnant que je grandisse deux fois plus vite que lui. Mais quand j’ai compris que ce demi-frère était aussi mon grand frère, imaginez ma consternation : avoir un frère plus vieux, donc plus grand, plus petit que moi qui était plus jeune, donc moins âgé ! Ha j’ai, on peut le dire, été perturbé. Et plus encore quand j’ai compris que, s’il était mon demi-frère, j’étais aussi le sien. En conséquence, demi-frères tous les deux, nous aurions dû grandir, aussi bien que l’autre, tous les deux aussi nains l’un que l’autre ! Or, si lui ne grandissait plus, moi, je grandissais plus !
Cette affaire prenait de l’ampleur. Le problème était de taille. Et il allait encore s’accentuer après la naissance de mon second frère ! Comprenez : plus je grandissais, plus mon grand frère devenait mon petit frère ; ce qui énervait mon petit frère qui ne voulait plus grandir pour garder sa place de petit dernier. Son énervement provoquait à son tour l’irritation de mon père qui, avec une jambe en moins, ne voulait pas en plus perdre son latin.  
Si je voulais sortir grandi de cette histoire, il me fallait comprendre ce que mon père taisait. Constatant que dans cette affaire je ne pouvais prendre de la hauteur, ce qui aurait accentué la différence de taille entre mes frères et moi, je décidai, par prudence, de ne pas l’étudier en long, mais plutôt en large et en travers.
Et là, tout s’éclaira.
Grâce à un copain de mon père.
Mon père avait un ami de guerre. Un Breton. De Guer. Robert. Bien que rendus sourds par le fracas des obus, ils s’entendaient plutôt bien tous les deux. Au point qu’après la guerre, ils restèrent proches ; ce qui les aida d’ailleurs à mieux s’entendre. Quand Robert déménagea dans le Nord, cela les rapprocha encore. Du coup, et en le tendant pour s’entend’dire, ils s’entendirent bien mieux.
Il faut savoir que Robert avait eu pendant la guerre l’avant-bras sectionné en-dessous du coude. Le gauche ; ce qui ne l’empêchait pas d’être adroit. Ce manchot, qui ne l’était donc pas, travaillait chez Lapayre où il avait fait embaucher mon unijambiste de père, à la scie. L’assis, c’était moins fatiguant pour mon père. Ces deux-là, c’était tout un poème. Ecoutez plutôt :

Et, le dimanche, dans la brume automnale,
Le promeneur égaré, ô combien matinal,
Au détour d’un sentier, pouvait observer
La belle et rude amitié de cette paire d’estropiés.

En effet, quoi de plus beau que ces deux éclopés qui, cigarette au bec, clopin-clopant, et clopant, s’en allaient sur les chemins, bras dessus et bras dessous (enfin, l’un ou l’autre, en ce qui concerne Robert).
Mais pardon, je vous perds. Revenons à nos moutons, à l’ainé de la famille. Et à ce jour où tout s’éclaira pour moi.
C’est Robert, alors qu’il levait pour la xième fois le coude qu’il avait, dois-je le rappeler, conservé, c’est Robert, dis-je, qui me révéla la vérité sur mon frère. « Tu vois, ton grand frère est, en définitive et par définition, un nain. Je cite : personne dont la taille est très inférieure à la normale. Nain. Nom commun masculin, je te l’avoue, peu commun ». Puis, il ajouta : « P’tiot, il te faut l’aimer comme il est. »

Vous en conviendrez, ce Robert, avec grand R, sans petit s, était sans conteste un expert en grandeur et petitesse.

 

2 réponses à “Une courte histoire de nain”

  1. Dorothée dit :

    Bonjour
    J’adore le ton humoristique employé, les différents jeux de mots employés. Vous jouez si bien avec la langue française !
    Parfois, je créé des textes courts en mode écriture automatique et c’est là où les mots me viennent plus facilement.
    Sinon cela me rappelle une histoire complétement idiote que j’avais rédigé un jour sur un nain qui s’appelait Bécile et sa femme, Citronnelle et ses enfants, Zigate et Zoulou. Il faudrait que je la corrige pour la publier sur mon blog !! 😉
    @bientôt et bonne continuation !
    Dorothée

    • thierry-guignaud dit :

      Dorothée, vous me feriez rougir… si je n’avais pas ce soir une allergie déjà bien installée sur mes joues ! Je veux bien lire cette histoire de nain, surtout si elle est idiote car j’adore le côté décalé, absurde d’un texte.
      Au plaisir !
      THierry

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *