Articles "hérissoniens"

L’arche de néo…

L’afin justifie les moyens.

   Si dans le jardin, il y a la pelle, en ce mois de novembre, il y a l’appel ; celui à commémorer l’armistice, et l’autre, celui de mon ventre criant famine me conduisant à toutes patounes chez mon ami Thierry. C’est qu’il y a toujours pour moi là-bas quelques croquettes pour chat que, promis, je vous ferai goûter un jour.
   Je me dépêche car le hérisson que je suis (en vérité, je ne suis aucun de mes congénères à piquants – devant moi il n’y a personne) car le hérisson que je suis, disais-je, est un animal nocturne, alors que Thierry est, vous allez l’apprendre (oui, vous allez la prendre, je le crains, la gélule d’aspirine pour faire passer mes digressions) alors que Thierry est, disais-je, un couche-tôt.
   Tout cela est sans doute un peu confus, je l’admets, mais n’a d’autre but que de vous faire patienter le temps pour moi d’arriver à destination ; ce qui est maintenant chose faite.
   Là, j’entends des cris. J’entre. La porte est ouverte, et Thierry est tout rouge. Je jette un œil à l’horloge murale, je ne sais pas lire l’heure mais je sens qu’elle est grave. Mon ami fulmine, s’agite des bras, tricote des jambes, patine en tous sens de la langue. Il gueule néonicotinoïdes, braille interdiction, s’égosille insecticides, glapit loi, accuse législateurs, gémit abeilles. Même si je sais où je me trouve – au salon – je suis un peu perdu tant le propos est nébuleux. C’est la seconde fois, vous l’aurez noté, qu’il y a de la confusion dans cet article, je vous demande donc encore un peu de patience afin de remettre de l’ordre dans tout ça.

 

Nous vous prions de nous excuser de cette interruption momentanée de l’article. Interruption qui doit servir, on l’a dit, à remettre un peu d’ordre !

   Voilà, c’est fait. Merci d’avoir patienter. 

Quand tout va de Travert  

   « Hedgie, vois-tu, les néonicotinoïdes sont principalement utilisés par les agriculteurs et les particuliers pour protéger les plantes en luttant contre les insectes nuisibles. Le problème, c’est que leur faible biodégradabilité, leur toxicité persistante et leur migration dans le sol et les nappes phréatiques portent atteinte à des espèces vivantes non ciblées : insectes (abeilles, papillons…), prédateurs d’insectes (oiseaux, souris, taupes, mulots, chauve-souris) et agents fertilisants des sols (vers de terre). En 2015, Nicolas Hulot alors ministre de l’environnement s’était clairement positionné contre, arguant, études à l’appui, que cette famille d’insecticides – la plus toxique qui soit – avait pour conséquence grave d’affecter le système nerveux des abeilles engendrant paralysie puis mort. En 2016, une loi – avec effet au 1er septembre 2018 – avait été votée pour les interdire. C’était une réelle victoire – de bien courte durée hélas – car en novembre 2020, le parlement autorisait la réintroduction de ces substances pour sauver la filière de la betterave. »
   « Tu te rends compte, mon Hedge, ces produits sont notamment la cause de l’effondrement des colonies d’abeilles. Macron a dit que ce qui est mauvais pour les abeilles est mauvais pour l’homme. Et pourtant son précédent ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, souhaitait leur réutilisation. Et l’actuel l’a obtenu. »
  « On dit que c’est provisoire, mais on sait ce que ça veut dire : temporaire ça rime avec marche arrière, momentané avec c’est toujours trois ans de gagné, et éphémère avec NTM. »

  Mon ami est furax, et je le comprends – moi j’aime pas la betterave mais j’adore les abeilles. Nous voilà tous les deux en boule, chacun à sa manière : lui en allers-retours furieux sur la moquette, moi sur le canapé à m’interroger. Comment députés et sénateurs en sont-ils arrivés là ? Pour le découvrir, refaisons le film, visionnons la séance… parlementaire. Imaginons ce qui a pu se dire et se passer.

 

Une loi de bon aloi ?

   Mercredi 4 novembre 2020. Moi, Hedge, hérisson de son état, me trouve au parlement où députés et sénateurs parl(et)mentent. Mon imagination déformant la réalité, le palais Bourbon et celui du Luxembourg n’en font bientôt plus qu’un dans mon esprit. Là, dans cet hémicycle unique, saint des saints de la politique française, se dessinent, parait-il, de sains desseins. Je me mets dans un coin, et sans faire de bruit, les écoute débattre.

                               La Belle et la bette(rave)

   Les propos sont enlevés ; il y a de hauts débats avec des hauts, des bas. Il y a ceux qui sont contre – donc pour les abeilles –, et ceux qui sont pour – donc contre ceux qui sont contre. On s’apostrophe. On évoque l’amorale, on invoquer la morale ; tout ne serait-il finalement qu’une question d’apostrophe déplacé ?
 « Il y a urgence ! postillonnent les pro-néonicotinoïdes, notre souveraineté alimentaire est en jeu. Oui ! elle est enjeu. Il faut sauver la filière qui en voit de toutes les couleurs ! Le constat est parlant : un puceron vert transmet à la betterave rouge la jaunisse. Quarante-six mille travailleurs vivent de ce légume, alors, la réutilisation de ces insecticides, même si on dit qu’on n’est pas vraiment pour, on est pas contre, bien au contraire. Ce réemploi pour sauver les emplois, c’est un mal pour un bien. C’est aussi une mesure ponctuelle – jusqu’en 2023 – avant un divorce que nous vous promettons définitif ; on dit que l’amour dure trois ans… et que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Et puis, convenez-en, s’il n’y avait pas eu ce puceron, il n’y aurait pas eu la maladie… La faute à la nature tout ça, na ! Alors, au lieu de fustiger les pétrochimistes, au contraire remercions-les. Nous, les décideurs, ne devrions avoir de polis tics que ceux d’acquiescement et d’allégeance envers eux. Bon, bon, admettons que chacun sait depuis des années que ces produits ne sont convenables ni pour l’environnement ni pour la santé de l’homme, admettons que les industriels auraient pu entre temps créer des produits vertueux plutôt que vers tueurs, et que dans l’hémicycle nous aurions dû défendre un changement de modèle agricole. Admettons… Mais ce qui est fait est fait, et surtout ce qui n’est pas fait n’est pas fait. Par le passé, les faits qui se sont succédés aux faits ont donc été suivis des faits, sans être suivis d’effets. Le passé a mené au pas assez. Vous suivez ? Bref, tout ça pour dire qu’aujourd’hui il y a urgence. À situation exceptionnelle, décision éponyme. Et si la pilule est dure à avaler, enrobée de substances chimiques, ça devrait le faire. Votez oui, nom de nom ! »

                               Des fêtes ? Non, défaite !

   L’opposition, de gauche et à ma droite, tente de faire entendre sa voix. Elle évoque les gentilles abeilles, la biodiversité, l’agriculture paysanne. Elle dit que l’urgence fait réagir, jamais agir. Elle affirme en regardant le ciel déréglé qu’il y a une urgence au-dessus de l’urgence. Le discours est beau, empreint de sagesse. Mais rien n’y fait, les pro-néonicotinoïdes, à ma gauche et de droite, armés de manches, ont relevé les leurs, et balayent à tout-va les arguments.
   Et puis le vote a lieu.
  Assis dans mon coin, je m’interroge :  un sénateur, c’est nature ? De crainte d’un jeu de mots plus mauvais encore, je ne me questionne pas sur les députés. Et tandis que le mien se serre, je me demande de quel côté va pencher leur cœur.
   Malheureusement, sur ce dossier, la droite est adroite et la gauche mal à droite. Bien trop vite, les jeux sont faits.  Le verdict est rendu, les armes aussi. Le texte est adopté. Les membres de l’opposition ont perdu. Ils crieront à la défaite sanitaire, au recul environnemental, et, en sortant de la séance, mangeront du Bounty tant ils sont révoltés. L’happyculteur, lui, ne le sera plus ; au moins pendant trois ans. En colère, il aura au choix le bourdon ou les abeilles – enfin, celles qui ne mourront pas – et ses yeux pour pleurer.

3 réponses à “L’arche de néo…”

  1. thierry-guignaud dit :

    Merci pour ton gentil message, Sabrina
    Passe de très belles fêtes de fin d’année.

    Thierry

  2. Thierry Guignaud dit :

    C’est vrai, c’est terrible ! Que d’excuses (il y a urgence ! une filière est mal…)
    chez nos politiques pour voter/détricoter des lois qui vont dans le bons sens. Où sont les vrais priorités ? Il y a une urgence au-dessus de leurs urgences : c’est la planète.

  3. Sabrina P. dit :

    Ah Thierry !

    J’ai bien envie de te féliciter pour ta plume que l’on savoure dans ce texte mais malheureusement, on est loin de la fiction, et ça m’attriste tant que j’écarte ton talent.

    J’ai beaucoup aimé ta manière d’amener la problématique sérieuse, et du coup, je sais que dans ton travail futur, tu allieras toujours les deux, humour et sérieux, raison et folie. Bref, continue à écrire comme tu le fais. Pour les lecteurs, les abeilles et ce monde bizarre.

    Belle soirée à toi, Sabrina.

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