Dieu est humour !

Monsieur le commissaire,

Dans cette lettre que vos yeux fatigués parcourent à cet instant, nous vous dévoilerons qui, dans l’affaire du livre tueur, effrayante histoire défrayant la chronique, assassine, et de quelle manière.

Mais avant tout, il nous semble judicieux de vous exposer la raison pour laquelle nous vous avons choisi, vous plutôt qu’un autre, pour cette révélation. L’évidence eût pu être le motif : vous êtes en effet l’éminent officier chargé de fédérer les recherches des polices du monde entier sur les mystérieuses ventes de copies d’un livre ancien, la Coena Cypriani. Œuvre qui tue ses acheteurs dans le mois qui suit son achat. Mais nous avons rejeté l’évidence, y substituant la vanité. Celle d’un enquêteur présomptueux qui, s’estimant meilleur que Holmes et Poirot réunis, reste persuadé que c’est grâce à des policiers de sa trempe que les êtres humains seront à tout jamais protégés des Méchants. Ne vous en déplaise, commissaire, c’est avant tout votre manque d’humilité, plus encore votre orgueil, qui ont guidé notre choix. En vous élisant, nous faisions de vous l’élustration la plus vaine de l’espèce humaine, de cette humanité décadente qui a fini par ne plus croire qu’en elle-même, reléguant peu à peu aux oubliettes Celui qui lui a donné la Vie. La conséquence ? Exit Dieu, adios Dios, exode de God ! Le résultat ? Il n’est que trop visible et misérable : un monde en pleine déliquescence ! Aussi, avant qu’il ne soit irrémédiablement trop tard, le Tout-Puissant a-t-il décidé que le temps est venu de croire à nouveau en Lui. Sachez-le : si le livre tueur est l’écrin nécessaire de Sa renaissance, vous en êtes le… Messie. Mais si ! Celui chargé d’expliquer au monde une affaire qui, parce qu’elle dépasse l’entendement, est en cela la preuve éclatante de Son retour.

Ceci étant dit, rentrons sans plus attendre dans les arcanes de cette mystérieuse enquête : qui est l’auteur de ces assassinats ? Dieu lui-même ! Le motif : éveiller, réveiller, raviver, ranimer les âmes égarées. Rien de plus, surtout rien de moins ! Quant aux ressorts sous-jacents qui Le guident vers ce but, consentez que je vous les livre en partant d’un indice connu : l’œuvre elle-même.
La Coena Cypriani est une parabole, cette figure de rhétorique signifiant rapprochement, comparaison. Sa présence dans votre enquête donne dès lors à comprendre que des parallèles sont à opérer entre elle et l‘affaire qui hante vos nuits. Ces analogies, les voici : ce sont toutes deux des parodies, l’une biblique, l’autre envers le genre humain – Dans tous les cas il s’agit de meurtres : un dans la Coena, deux mille cinq cent dans l’autre (si Jésus multiplie les pains, Dieu peut sans doute aucun centupler les morts) – À l’instar de la Coena, festin bouffon moquant Dieu, ces assassinats sont une ripaille clownesque à l’encontre des hommes. Goûtez-en, je vous prie, l’amusante saveur de l’entrée en matière : Dieu, affamé de reconnaissance, est prêt à tout pour que l’humanité boive à nouveau Ses paroles ; sa faim justifie dès lors les moyens. La suite est meilleure encore ; appréciez-en la farce : les victimes, toutes spécialistes des livres anciens et mécréants notoires, ont cherché dans la Coena la preuve de Son affabulation. Mal leur en a pris ; à rejeter toute nourriture spirituelle, ils ont bu le calice de leur incroyance jusqu’à la lie. Terminons par le gâteau et sa cerise : pourquoi tuer en trente jours ? La réponse la voici : à la première lecture de la Coena, ces Judas impies ont entendu, venue de nulle part, cette parole… aux accents africains (apprenez que Dieu, s’il est inimitable, a des talents d’imitateur) : mon ami, mon f’e’e, ces quat’e semaines à veni’ sont les t’ente de’niers de ta vie !  
    Autre trait divinement symbolique, tout aussi drolatique : après chaque assassinat, le livre disparait. Divinerez-vous pourquoi ? Voyons ! sagace policier, cette disparition est là pour dire l’humanité en train de se perdre. Mais là où deux mille cinq cents âmes meurent, le livre, lui… ressuscite d’autant ! Dieu manie l’ironie avec un saint esprit, n’est-il pas ?

Pour autant, ces traits très très amusants, tous diablement métaphoriques, ne disent rien de la manière dont ces mécréants sont morts. C’est embêtant, ça, non ? Pour la découvrir, allons voulez-vous plus avant dans notre explication.
Vous aviez supposé, à raison, que la mort résidait dans la manière de lire le livre. Vous avez toutefois manqué d’une singulière sagacité en oubliant de remarquer que la Coena Cypriani renvoyait à un autre livre tueur, le deuxième tome de la poétique, qui à son tour menait à son auteur, Aristote. Ce philosophe y révélait que l’esprit carnavalesque rendant le réel moins terrifiant, il est impossible d’avoir peur de ce qui nous attend lorsqu’on rit. De fait, en parcourant la Coena, les victimes se sont mises à rire. Irrépressiblement. A tel point qu’elles ont passé… la larme à gauche. Notez que mourir de rire est une mort douce, exempte de la moindre souffrance ; Dieu est humain, commissaire, convenez-en à tout le moins !

En vérité, Il vous le dit ! à vous, commissaire, ainsi qu’à tous les autres : de vos quolibets à son encontre, Il a voulu s’amuser. Cette tuerie de masse est un acte fantasque, la fantaisie plaisante d’un dieu à l’humour… ravageur. Allons, vous qui riiez de lui, riez maintenant, avec lui, de ce bon tour qu’Il vous a joué. Retenez cependant que le rire du Père est amer, qu’il est l’expression d’une colère enflant au long de siècles d’espoirs déçus, par vous qu’Il a créés à son image en pensant que cela était bien ! Sa déconvenue est grande, et le châtiment, à la hauteur de son ire : IL TUE, oui, il tue. Ce n’est pas bien. Il avoue sa faute, il est donc à moitié pardonné. Mais… vous autres, quid de votre repentir ? Désormais, l’heure est venue d’inverser vos certitudes, de remettre de l’ordre dans vos vies. Dieu est lumière et le message est clair : au risque d’errer dans l’erreur, ravivez la flamme qui est en vous, croyez en Lui ! Sinon…

Voilà, monsieur le commissaire, nous vous avons tout dit. Vous savez tout… ou presque, car un dernier point vous turlupine, n’est-ce pas : qui pouvons-nous bien être ? Mais vous l’avez sans doute à présent deviné.

Nous sommes Lui.

Amen.

 

5 réponses à “Dieu est humour !”

  1. CAHE Michelle dit :

    Comme je te l’avais dit : »Je me permets de transférer ta publication à 2 personnes, qui sont plus « qualifiées  » que moi.
    Il faut lire très attentivement, et plusieurs fois , ton texte pour « l’enregistrer » ???
    tu as de l’obstination : c’est très bien.
    A plus tard.

  2. CAHE Michelle dit :

    Bonjour Thierry,

    Pour ma part, ton texte est vraiment difficile et je m’y suis remise à plusieurs fois…j’ai du mal à l’intégrer.
    Ne t’occupe pas de moi et continue dans tes écrits.
    Par contre : était dans ma compréhension : le texte rédigé et exprimé par tes soins, aux obsèques de ton père.
    du début à la fin : le déroulement, la diction, etc… Tout était super.
    Tu as un don : c’est très bien de le travailler et CONTINUE.

  3. CAHE Michelle dit :

    Bravo : Thierry,
    Vraiment ton cerveau fonctionne mieux que le mien.
    Je ne saurai pas écrire un texte ainsi, ni les idées , ni les jeux de mots que tu utilises. Pour ma part : je dois faire un effort de compréhension et je suis, sur une autre « planète », mais c’est intéressant de relire et de relire.

  4. thierry Guignaud dit :

    Merci Sabrina, tes mots sont gentils et donnent envie de continuer à écrire. Peu de gens laissent des commentaires à vrai dire, alors ce n’est pas simple de savoir si ce que j’écris convient ou non.
    Bien à toi
    THierry

  5. Sabrina P dit :

    Oh oh ! Alors, là, j’en ai lu des versions de cette Coena Cypriani, à vrai dire, cela donnait un peu le tournis (pour ne pas dire autre chose). Mais là, tu m’as embarquée du début à la fin ! Car tu l’as tournicotée à ta sauce, en y ajoutant de l’absurde à certains endroits, rendant la lecture drôle et originale ! Merci bien Thierry ! Que dire de la conclusion, rien, je m’incline face à LUI. Dans ce genre de texte, on voit tout le potentiel de ton écriture ! Belle journée à toi, Sabrina.

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