Dans l’cul Lily !

Elle se prénomme Lily. En vrai, c’est Liliane, mais Lily, c’est plus joli, plus professionnel aussi. Elle est pour les hommes Particulièrement Utile à Tout Ebat, et dans le murmure des femmes une pute, périphrase pour péripatéticienne, acronyme de putain.
Petite, Lily rêvait de devenir architecte : elle voulait faire des maisons. Depuis elle a grandi, à la place, elle fait le trottoir… celui qui longe les maisons. Chaque jour qui passe, quand elle aussi passe et fait ses passes le long de leurs façades, c’est un peu son rêve qu’elle touche du doigt.
Le destin est cruel parfois, pourtant Lily ne se plaint pas.
Car elle a un p’tit ami, Mic. C’est son mec ; son mac aussi. Il l’appelle dame Lily ; elle trouve que c’est beau. Elle raconte que, quand elle a fait sa connaissance, c’est l’amour qu’elle a rencontré. L’amour, oui, mais d’abord le mur ; celui contre lequel il l’a poussé. Souvent, elle repense à ce jour : lui derrière elle, ses mains palpant son corps, ses joues mal rasées frottant contre les siennes. Lui dit que ce n’était pas ses joues, mais le crépi du mur… Peut-être. En tout cas, c’est ce soir-là, alors qu’elle était éprise, et prise dans tous les sens, qu’il lui a glissé à l’oreille, en même temps qu’un peu de salive, ces mots : wouah ! Lily, t’es une fille bien sous tous… rapports ! »
Elle, cette gosse de la rue et du rut, cette gamine née d’un père abonné à l’absinthe et d’une mère aux abonnés absents, cette fille, dis-je, est devenue sa chose à lui. Lui, ce fils de père inconnu et de mère trop connue – Oh, périphrase ! te voilà revenue ! – lui, dis-je, ce fils de…, il l’a sorti du caniveau. Oh, il ne l’a pas posée bien loin, c’est sûr. Elle ne peut pas dire qu’avec lui elle a pris l’ascenseur social ; tout au plus s’est-elle élevée d’une marche – celle qui mène au trottoir.
Mais elle lui en est tout de même reconnaissante. Alors, toutes les nuits, elle travaille, se défonce pour lui en se faisant… défoncer, mais pas que des foncés… iparcequ’il y a aussi des blancs, de jaunes, elle en voit de toutes les couleurs dans son métier. Lily n’est pas une femme du monde, elle est la femme de tout le monde. À sa manière elle aime les hommes. Les hommes, eux, l’aiment à leurs manières. Mais, s’ils la prennent comme ils veulent, elle aussi les prend comme ils sont, car au fond d’elle, Lily sait qu’une fois au fond d’elle tous les hommes sont les mêmes.
Travailleuse de la nuit et de l’ennui – celui que ces hommes trainent derrière eux – elle traine son cul au lit qui lui n’y traine pas. Et sans perdre courage, vingt fois sur le métier se remet à l’ouvrage. Inlassablement, recommence ses caresses, pelote, et repelote, et dix derrière ! On la dit infatigable. Elle travaille sans compter, nuit et jour. Pour elle, il n’y a pu d’heures, non pu d’heures, d’ailleurs elle a perdu la sienne. Mais quand se repose-t-elle, comment s’évade-t-elle ? Par un bouquin peut-être. On peut se demander, quand, sur ce trottoir, elle est là, là, là, là, si au lit, Lily lit ? Hélas non ! Au lit Lily n’a pas de livre, au contraire, elle se livre, le corps déchiré, l’âme en sursis, ne gardant rien pour elle. Non, rien ! Chaque matin, elle apporte à son Mac le gain de son labeur, le fruit de son fruit plus très défendu, et plus très frais non plus.
Elle s’en plaint parfois. Mic, je te dois beaucoup, c’est vrai, mais là… non seulement tu me prends plus, mais tu me prends tout. Ce à quoi, Mic le mac immanquablement répond qu’il est son Sauveteur Secouriste du Travail, son SST sans MST, et que cet argent lui sert à améliorer sa sécurité à elle. Sur le trottoir, dame Lily, il ne faut pas tomber… sur n’importe qui, et pour ça, il te faut un bon mac à dames. C’est le genre de réflexions qui trouent l’cul à Lily ; heureusement, elle est habituée.
Habituée. Lily a les siens. Chaque soir à sa porte frappe la longue queue des habitués, et pourtant, il n’a pas qu’eux ; il y a aussi les clients de passages. C’est qu’à l’instar de sa porte, Lily est très ouverte. Ses voisins pourraient vous le dire : chez Lily, ça rentre, ça sort ! Telle une gare à elle toute seule, elle les accueille ces voyageurs en transit qui n’ont de valises que celles qu’elle leur laisse sous les yeux. Sans jamais leur parler, elle sait tout d’eux, leurs petites manies, leur métier aussi. O mon gars ! Fais-moi ce qu’y t’plait, et je te dirai qui j’me fais. Tu ne me touches que les seins ? Tu es… apiculteur. Tu adores la cravache, tu te crois bien monté ? Oh ! désolé tu n’es pas ton cheval, seulement son tout petit jockey. Avec toi, le musicien, je me repose : c’est ton piano qui est à queue. Quant à toi qui veux te faire tous les trous du… parcours, ne serais-tu pas golfeur ?
Lily aime ses clients, d’un amour tarifé. Entre eux, pas d’amitié, Mic s’y est opposé. Lily, je veux bien qu’ils t’attachent, mais pas que tu t’attaches. De l’amitié à l’amour, il n’y a qu’un pas, un faux-pas, alors faut pas… mélanger ! À chaque fois qu’un client te mettra, souviens-toi du mantra : le métier, pas l’amitié ! L’amitié est un… tabou, l’amitié est in… terdit ! Y a pas à dire, elles frappent les phrases de Mic – au moins autant que ses poings – alors Lily acquiesce. Elle n’a pas le choix : avec ses clients, elle restera copain, coup d’pine.
Copain, copine. Lily n’en a qu’une. Josy. En vrai, c’est Josiane, mais Josy, c’est plus professionnel. Entre elles, c’est une longue histoire : amies pour la vie, amies pour le vit ! qu’elles disent. C’est Josy qui lui a appris qu’avec les clients l’échec et les chèques sont interdits, que si l’écarte est obligatoire, les cartes ne le sont pas encore. Ni carte bleue, ni fleur bleue, ma Lily, souviens-t-en ! Et puis fais gaffe avec les British, ne dis jamais à un Anglais Sir, vous voulez monter ? Un, c’est pas ta sœur, et deux il pourrait te répondre : no merci, je suis pas soif ! et tu perds un client ! Et si un jour, tu croises un gars qui te dit en souriant : Pute, bitte ? Ce n’est pas un client pour toi, mais pour le supermarché d’à côté. Hé oui, ça arrive des Allemands polis qui cherchent de la dinde ! A part ça, ma Lily, les mecs, c’est tous les mêmes, avec eux pas besoin d’être douée pour les langues, il suffit d’être bonne avec.
On le voit : Josy est bavarde. Pourtant, dans le métier y a des règles, elle le sait : la bouche, c’est pas fait parler. Mais Josy lève sa jupe aussi souvent que les interdits, et Lily aime l’écouter, alors…
Ma Lily, il était une fois un pilote de ligne qui voulait m’emmener au 7° ciel. Tu parles, à peine arrivé au 2ème étage, il était déjà tout essoufflé. Et quand il a voulu me faire passer le mur du son, il a glissé, c’est lui qu’a passé le mur du fond. Juré, y s’est crashé.
Ma Lily, il est pour la deuxième fois un directeur de grande enseigne nationale et internationale, jaune et bleu, su et doise. À chaque fois qu’il monte, il finit toujours par me démonter, c’est spécialiste du meuble en kit mais en vrai c’est toujours moi qui le quitte. Je crois qu’avec lui, le hic est là.
Souvent, la nuit, entre deux pipes, pour passer l’temps – et un peu le goût sans doute – elles se racontent aussi leurs rêves. Josy dit que si Lily était architecte, elles bosseraient ensemble. Lily imaginerait les plans de maisons magnifiques, Josy, elle, serait sculptrice, parce qu’elle taille bien les pierres, mais pas que, il y a aussi les Christophe, les William, ou les Richard… Oui, ensemble, elles rêvent. Et ça leur fait du bien, car elles savent que la vie n’est pas un conte de fée, plutôt un conte défait, un rêve qui a mal tourné, quoi ; leurs princes à elles ne les embrasseront jamais sur la bouche. Malgré tout, elles espèrent, elles espèrent qu’un jour elles seront libres, qu’elles quitteront ce trottoir pavé des trop mauvaises intentions des hommes. Oh ! jamais elles ne seront architecte, ou bien sculptrice ; elles ont de bien plus modestes ambitions : elles seront secrétaires. Elles trouvent que c’est le plus beau métier du monde. Elles prendront des rendez-vous, et à la place d’un Mac, eh bien… elles auront un PC !
Très beau texte!! Tu passes a la maison quand tu veux. Si tu as besoin d’idée pour une suite tu peux en débâchée quelques une pour en bâcher quelques un !!
Au plaisir de te revoir, bonjour a toute la famille.
Stéphane
Je viens de lire ton texte ( en vitesse..) car le travail presse…
Je voulais aller cueillir des cerises à Azans, mais Jean me l’interdit
(peur que je tombe de l’arbre…), puis extraction du miel.
Le travail que tu as fait est magnifique = prof de français, tu aurais « bien fait »……… Est-ce que c’est l’éloignement qui te fait travailler ainsi….français=10sur10( car c’est vendredi à Dampierre que j’ai appris que tu était reparti.Bonne continuation à toi et toute ta petite famille.