Balance ton por… table !

Imaginez un pré… court, long, carré, ou de la forme que vous voulez. Peu importe en vérité. Et dans ce champ, des bulles. Des dizaines de bulles. Que dis-je ! des centaines de ronds de savon tout mignons, collés les uns aux autres. Vous visualisez ? C’est joli, hein ?!
Ne serait-ce pas ce qu’on appelle un…
Pré….am…bule ?
Moi : Salut, les gars, c’est moi !
Vous : Qui ça, toi ?
Moi : Ben, vous savez… le hérisson journaliste qui écrit des articles.
Vous : Des articles… genre : un, la, des ?
Moi : Vous me charriez là ? Non, des écrits, des réflexions… sur l’environnement, la planète.
Vous : Ah ouais… des articles quoi.
Moi : Sympa l’accueil !!! Bon, c’est vrai que je n’ai rien écrit depuis longtemps, mais tout de même, faites un effort, montrez un peu d’enthousiasme, d’autant que je voudrais vous parler d’un truc…
Vous : Bon, tu la craches ta Valda !
Moi : Heu… d’accord !
Inter canem et lupum
Alors voilà : hier, entre chien et loup, une forme sur la route attira mon attention. Plate et luminescente elle était. « Encore un des miens tombé au champ d’honneur des hérissons, pensai-je tristement en me dirigeant vers elle, son âme brille encore ». En arrivant à sa hauteur je constatai mon erreur : c’était une sorte de petite boite rectangulaire extra plate. « Qui es-tu ? » demandai-je à ce drôle d’animal qui râlait faiblement.
— Je… suis… un i… Phone.
— Aïe… quoi, tu as mal ?
Le iPhone dernier cri – qui était de toute évidence en train de pousser le sien – m’expliqua qu’il s’était cassé l’écrAN et souffrait terriblemENT.
Il me supplia de l’écouter.
J’acquiesçais, ne pouvANT nier décemmENT la volonté d’un mourANT*
L’alarme à l’œil !
« Ce que j’étais aimé, avant, tu sais ! me confia alors l’ordiphone, IL m’adorait, sa vie tournait autour de moi. IL affirmait à qui voulait l’entendre qu’IL ne pouvait se passer de moi… et moi, à l’écouter j’étais dans tous mes émois ! J’en vibrais, ô folie ! Notre rencontre ? Une évidence : IL m’avait choisi parmi tous les autres ; et même si le vendeur flasha sur moi, c’est à LUI que je me donnai. Dès lors, IL me posséda : j’étais sa chose, son objet de désir. Nous demeurions collés l’un à l’autre ; la journée sur LUI, la nuit à ses côtés. Il pouvait m’arriver de le réveiller une fois, deux fois, plus encore, rien que pour sentir ses mains fébriles parcourir mon corps. Ses doigts… ses pouces ! qui me caressaient sans cesse. Émotions tactiles ! Visuelles aussi : oh ! sa façon de me regarder… j’en étais sans cesse allumé. Maitre et esclave à la fois je le réveillais quand IL le souhaitait, LUI rappelais ses rendez-vous. À chaque fois qu’IL voulait savoir quelque chose IL n’avait qu’à me consulter. J’avais réponse à tout ; IL m’appelait en riant mon deuxième cerveau. Je me chargeais de ses désirs quand LUI me rechargeait… »
C’était beau eux deux, j’en aurais pleuré, quoi !
Une team intime
Les yeux humides, je l’écoutais parler encore et encore de ses amours toxicomanes. Jamais je ne saurai raconter aussi bien que lui leur relation ; alors, à la place, je préfère vous compter ce qu’il me contait : 3h30 par jour les yeux dans l’écran, de 221 à 2617 tête-à-tête quotidiens – soit 1 caresse, 1 regard toutes les 5 minutes, ou chaque 30 secondes ! Folies ! Mais ils n’étaient pas les seuls à vivre ça : 84 IL et ELLE sur 100 dans le pays aux 6 côtés partageaient une même histoire ; 3 milliards sur la boule bleue !
C’était du lourd, quoi ! Mais écoutez la suite !
Tu m’as servi, tu m’asservis
— 186, râla l’e-mobile immobile.
— Pardon ? dis-je, moins par politesse que pour éviter la redondance d’un quoi par trois fois utilisé dans les précédents paragraphes.
— Cent-quatre-vingt-six, répéta-t-il en toutes lettres soucieux lui-aussi de cacher une répétition, c’est mon poids réel en kilogrammes… celui qu’IL a sur la conscience maintenant qu’IL sait ! »
Autant vous dire que, contrairement à lui, je ne captai plus rien.
— Connais-tu… le néodyme et… le gallium ? ahana-t-il péniblement.
— Quoi ?
Oups, désolé encore un !
— Cor…tana, lâcha-t-il alors avec effort tandis qu’une voix féminine et cristalline envahissait l’espace.
— Le néodyme et le gallium sont 2 des 54 métaux qui constituent les ordiphones. Dans un gisement de fer, ils sont respectivement présents en quantité 1200 et 2650 fois moins importantes. Pour recueillir quelques grammes de ces précieux métaux, présents partout dans la croûte terrestre mais en très faibles quantités, il convient d’excaver des volumes gigantesques.
— Toi, l’iPhone, tu me pollues qu’IL m’a dit…
— C’est par de très polluants traitements chimiques que ces terres rares sont extraites, puis épurées. 1 portable nécessite de traiter 183 kilogrammes de matières premières sachant qu’en 2021 il s’est vendu 1.35 milliards d’ordiphones.
— … oui, tu me pollues la vie, j’ai sans cesse envie de te toucher, mon précieux infernal ! Addict, je te possède autant que tu me dépossèdes. Je suis ton Gollum !
— L’addiction se caractérise par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement en dépit de la connaissance de ces conséquences négatives. Les concepteurs d’applications font appel aux neurosciences afin d’exploiter les vulnérabilités du cerveau humain. Aujourd’hui la dépendance à Internet, véhiculé par les smartphones, est le motif numéro un des consultations chez les jeunes dans les services d’addictologie, devant le cannabis et l’alcool.
— Tu vas trop loin, Cortana, fais attention…
— L’attention : en moyenne celle de l’homme, qui était de 12 secondes en 2000, n’était plus que de 8 en 2015, soit 1 seconde de moins que celle du poisson rouge ! Il est devenu difficile pour les propriétaires de smartphone de se concentrer durablement sur une tâche.
— Arrête, Cortana, arrête, supplia alors le (plus si) smart phone (que ça) dont la diction sur l’addiction devenait difficile à suivre, s’IL m’a jeté, ce n’est pas pour tout ça : IL… IL a voulu me remplacer… par un autre, plus jeune. IL ne m’aime plus, voilà la vérité !
— Le renouvellement d’un ordiphone s’effectue en moyenne tous les 23 mois, alors que deux fois sur trois l’appareil remplacé fonctionne encore.
— L’amour dure trois ans, parait-il… hein, hérisson ? En vrai, c’est moins ! lâcha l’appareil d’une voix cassée.
La lumière bleue de ce truc n’éclairait plus que par intermittence. C’était bientôt la fin. Sa peine me rendant tout chose, en un sens ça me rapprocha de lui. C’est alors que je compris : Entre IL et lui le rêve avait viré au cauchemar. Pour IL, passé le temps de la fascination devant cet objet aux capacités incroyables était venu celui de l’asservissement, de plus en plus pesant, de plus en plus visible aussi. Ce truc était devenu bidula non grata, mais il ne l’acceptait pas, refusant de croire que son propriétaire smartien ait tout à coup pu revenir sur terre, comprendre son aliénation et tenté de s’en défaire.
Jetez-le… allô… à l’eau ** !
Aurais-je choisi de faire pareil qu’IL si j’avais possédé un ordiphone ? Aurais-je pris conscience qu’un tel bidule enrichissait moins ma vie que les portemonnaies de ses créateurs*** et consorts**** ? Dur à dire – un hérisson, ça n’a pas de poche.
En regardant l’iPhone s’éteindre tristement, j’imaginai une cohorte de copains à piquants sortir d’une boutique revendeuse, brandir d’une patte victorieuse un smartphone flambant neuf pour le lancer avec fracas sur le sol en criant jeté au lieu de je t’ai.
Quand, dans un dernier râle bleu, le iTruc rendit l’âme, je le fourrai d’une patoune compatissante dans une déchetterie*****. Là, j’observai un moment la nature environnante onduler sous la brise, paisible et si belle.
Finalement, entre le phone et la flore, j’avais choisi.
* Et puis, je voulais montrer, y a pas d’raison, qu’il n’y avait pas que lui qui savait faire des rimes en -an.
** En raison du risque de pollution aquatique généré par ce jeu de mot, je vous propose plutôt de le faire recycler.
*** Steve Job pensait qu’il avait bien fait le sien quand il distribua, tels des petits pains, ses premiers téléphones de Jésus (surnom donné par des bloggeurs à son premier iPhone). Hé, vous savez qu’il disait Steve à chaque fois qu’il tendait un smartphone à ses clients ? Allez, on s’Apple !
**** J’appelle consorts ces rois qui gravitent autour du smartphone en se gavant (constructeurs d’antennes-relais, développeurs de la 5G, opérateurs téléphoniques…) En 2025, le numérique représentera 20 % de la consommation électrique mondiale (dont 13% par les smartphones). Quand on sait cela, on souhaiterait plutôt qu’ils deviennent des princes qu’on sort.
***** Ne me demandez pas pourquoi il y avait une déchetterie à proximité, ni comment j’ai fait pour y entrer de nuit, c’est mon secret !
LISEZ LE LIVRE DE NICOLAS BERARD aux éditions LE PASSAGER CLANDESTIN (j’ai pas d’actions… mais vous en ferez une bonne !)
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