A propos de l’auteur

J’me présente, je m’appelle Thierry…

C’est la nuit que Thierry vit le jour, un huit décembre 1970 à 22h12. Si Dole est sa ville natale, elle est aussi celle de Pasteur. Mais là s’arrêtent les points communs entre les deux hommes ; Louis étant, allez savoir pourquoi, plus connu, mais aussi plus barbu, que Thierry.
A sa naissance, la neige débordait des rues, et sa mère de tendresse.
Et le temps passa. Passa ? Si, c’est ça. Cessa ? Non, pas ça, passa ! Ha, d’accord.
Alors, les années passèrent. Le petit Thierry vécut à la ferme familiale une jeunesse heureuse et une adolescence insouciante. Trop insouciante peut-être. A 18 ans, il loupa son baccalauréat, de la même façon qu’il manquait souvent son bus : de beaucoup.
Très vite, il pressentit, se sachant peu doué en course à pied, qu’il ne pourrait poursuivre bien longtemps ses études… Néanmoins, il s’accrocha, volontaire et pugnace, et, bien que mauvais coureur, redoubla le bac.
Après ce bel effort, il quitta l’école, avant tout désireux de partir à la recherche de lui-même. Un métier de vagabond au service de la France le mena durant vingt-sept longues années aux quatre coins de l’hexagone et en son centre, ainsi qu’en Afghanistan et un peu (mais trop peu, hélas) outre-mer. Entre-temps, il se maria. Mais Maria n’était pas celle qu’il lui fallait, alors, il fit comme le pain au levain de Jésus ; il rompit, et connu Ingrid. A l’instar de ce même pain, il se multiplia, non pas à l’infini, mais au féminin : il eut quatre filles.
En 2018, ce pater raccrocha l’uniforme et, sans arme, avec bagages toutefois, posa sa tribu dans sa région d’origine, la Franche-Comté. Retour aux sources ; les boucles, la sienne et celles du Doubs, étaient enfin bouclées. Mais il ne fallait pas vendre l’appeau de l’ours, non il ne fallait pas (ça met en colère les plantigrades); forte de son passé d’épouse de militaire, sa femme (celle de Thierry, pas de l’ours) eut le sourire désarmant, et lui fit bien vite entendre qu’ils iraient vivre en Normandie. Pour longtemps ? demanda-t-il. For ever, lui fut-il répondu.

Normandie, fort et vert.

Alors, à son corps défendant, et en vertu du principe bien connu de tous les hommes mariés ce que femme veut, elle l’obtient, il redéménagea.
Aujourd’hui, il vit à Cherbourg, dans le Cotentin, patrie des peintres, des écrivains, et… surtout de son épouse.
Depuis,

(Mal)heureux qui, comme Thierry, vit, oui, en Normandie,
Où il s’en est allé, plein d’usage et (dé)raison,
Vivre entre ses (beaux-)parents le reste de son âge.

                                                                                                                                                              chante le poète.

Reconnaissons toutefois, contre l’avis de Thierry et de sa mauvaise foi, que si cette ode triste et désabusée ne rime pas, elle n’est pas vraie non plus. Enrico Macias ne s’y est d’ailleurs pas laissé trompé, quand il chante : les gens du nord (cotentin) ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors…
D’ailleurs, le temps et les maux passant, normand mal an, Thierry finit lui-aussi par reconnaitre que si, souvent dans ce pays, il plut, ce pays lui plut. Il rangea alors la fière devise de ces ancêtres Comtois rends-toi ! Nenni, ma foi, et accepta son expatriation, à coups de cidre fermier et de pommes au four. Il s’était une fois pour toute fait une raison : celle de sa femme.

A ce stade de la biographie, si le lecteur connait désormais tout ou presque de l’odyssée professionnelle et familiale de Thierry, ainsi que de sa destinée géographique, il est toutefois un pan de sa vie dont il demeure encore ignorant : le chemin qui le mena à l’écriture.
L’ignorance est mère de tous les vices, aussi le lecteur nous sera-t-il gré de ne pas faire de lui la proie rabelaisienne de ses plus vils instincts en révélant sans plus attendre les méandres littéraires de ce parcours.

Une vie de mots passants.

       Journal intime et Biactol.

Imaginez…
Une table. Et, posé en son centre, un livre. Penchée, trente centimètres au-dessus, une paire d’yeux marrons. Retranché derrière, un enfant blond, un peu timide.
Voilà, c’est lui, le p’tit Thierry. En 1974, il a quatre ans, a appris à lire seul ou presque, et bientôt dévorera bibliothèque rose (il ne dira jamais non à Jeannot Lapin, et surtout pas à Oui-Oui) et verte (les six compagnons, Michel ou Langelot). Bien d’autres encore.
1981. Il a onze ans, et si ce n’est pas encore la fin des lunettes chères, c’est pour lui le début des lunettes moches. D’aussi loin qu’il s’en souvienne, et malgré sa myopie, il a toujours aimé lire. Peut-être est-ce cet amour des mots des autres qui, de fil en aiguille et de lettres en phrases, suscita cette année-là le désir d’écrire les siens ? Ce désir, fulgurant, s’épanouit alors comme l’acné sur son visage. Très vite.
Par la suite, Biactol et journal intime devinrent ses amis, nettoyant quotidiennement mal de peau et maux de l’âme.

Mais tout ça, c’était avant le drame !

En 1984, Thierry a treize ans, une imagination fertile et le poil qui pousse. A l’époque, aucun constructeur automobile n’ayant encore inventé la cinquième, il est donc en quatrième. Un jour de décembre, son professeur de français demanda aux élèves d’inventer une histoire. Ce prof, monsieur Lelay, colérique et versatile, portait assez mal ses vêtements, et plutôt bien son nom.
Excité par l’idée, Thierry accoucha, comme l’avait fait sa mère avant lui, avec facilité ; d’un récit de corsaires des mers du Sud. Mais Lelay cru, en dépit des dénégations du jeune auteur, que l’œuvre n’était pas de lui. Alors, la colère emporta Lelay qui bouillit : « C’est un bon récit, dommage que ce soit un plagiat, mon gars ! » Persuadé que l’histoire de pirates avait été recopiée d’un livre qu’il avait lu dans sa jeunesse, il la saborda avec mépris devant la classe.
Lelay avait dépassé les bornes et débordé du cadre, étalant sa méchanceté gratuite sur les joues en feu du collégien.
Le drame, patent, n’était pourtant pas tant… là que dans ses conséquences.
L’attaque, injuste, marqua au fer rouge l’âme, malléable et fragile, du jeune garçon qui se pensa alors – première fausse croyance – indigne d’écrire. Il fourra désir et journal intime au fond d’un vieux tiroir et les y oublia.

       Des écrits vains.

Dans le livre de la jungle, Rama le buffle tue Shere-Khan. Mais n’est pas Rama qui veut.
Dans son lycée, Thierry, lui, ne tua que le temps, et, pendant trois ans, en pâle imitation du buffle, souffla comme un bœuf sur ses devoirs de français et de philosophie. Ses écrits et ses notes, respectivement en dessous de tout et de la moyenne, renforcèrent son sentiment de n’être point légitime à l’écriture, qu’il considérait désormais comme une discipline compliquée et fastidieuse.
Une expérience malheureuse valida pour longtemps cette seconde fausse croyance.
En terminale, à la suite d’une hasardeuse inscription, Thierry se retrouva dans un cours de français optionnel. Là, loin des résumés barbants et des dissertes assommantes, le professeur demandait aux élèves de laisser libre cours à leur créativité en élaborant nouvelles courtes et textes amusants. Contre toute attente, Thierry s’en donna à cœur joie, obtenant çà et là quelques succès d’estime. Au bout de trois mois, il chevauchait à bride abattue sur le plaisir des mots retrouvé, pensant avoir remis le pied à l’étrier littéraire. Pour que cela dure, il aurait fait n’importe quoi.
C’est d’ailleurs ce qu’il fit : n’importe quoi.
Porté par la verve d’une adolescence exagérément hormonée, par l’intempérance de la jeunesse, et sans doute dans le secret espoir d’exister par et au-delà des mots, il rendit à son prof une série de poèmes volontairement excessifs et provoquants. Je ne puis noter ce fatras à connotation psychologique écrivit son prof à l’encre rouge. Réponse laconique et lapidaire. Douche froide et déception ! Ainsi, pour quelques rimes osées couchées sur le papier, le corps professoral entendait l’allonger sur le divan d’un psy ! Le commentaire l’avait touché plus que de raison, et pour ne point la perdre sans doute, et s’économiser au passage le prix d’une séance, il fit sa propre analyse : décidément, l’écriture créative ne voulait pas de lui !

Après cette claque et un 6 en philo, Thierry ramassa ses clics, et, abandonna école et aspirations littéraires. Durant deux décennies professionnelles et militaires, il vécut de nombreuses vies mais n’écrivit plus rien d’autre que d’insipides comptes-rendus de réunions, d’impersonnelles et ingrates analyses et pléthore de mails factuels et ennuyeux.
Jusqu’au jour où…

       Change pas de main… je sens qu’ça vient !

… en l’an 2009, Thierry échappa à l’en… nui.
Le destin, sous les traits replets d’un colonel, décida par voix d’autorité et d’oxymore que le capitaine Thierry serait désigné volontaire pour une mission en Afghanistan.
Mais si le destin est à tous, il est aussi taquin. En enfermant Thierry pour six mois dans un camp, il allait le libérer de vingt années de travaux forcés d’écriture. Voici comment :
« Soldats, si l’endroit est dangereux, l’envers est contre tous. Nous ne vous le répéterons jamais assez, jamais assez, jamais assez… : ici, les moustiques donnent le palu, et les roquettes la mort. » Le colonel n’avait pas raconté de salade : au cours de la mission, une roquette tomba sur le camp faisant six blessés, des attaques tuèrent des soldats français. Le danger était partout, oppressant ; chacun le gérait comme il pouvait.
Thierry, lui, s’était mis à la course à pied. Un ami l’avait pourtant prévenu : « Attention, à courir ainsi pour évacuer à la sueur de ton front des pensées qui font froid dans le dos, toi qui veux éviter la mort, tu vas attraper la crève, tomber malade, tout ça. »
Et, c’est vrai, Thierry toussa.
Se trouvant en pays musulman, il Alla(h) consulter. Le médecin-chef posa son diagnostique, puis lui dit : « Gare à vous. Repos. » Thierry dit : « Je refuse. » L’officier au caducée dit : « Garde à vous ! » Et Thierry di…sposa.
Dans sa chambre, tout seul, Thierry toussait, et trouvait le temps long. Fidèle à son épouse, c’est en cherchant à ne tromper que l’ennui qu’il passa du grattage de gorge à celui de papier, retrouvant alors, ô surprise, un contentement et un désir d’écrire qu’il pensait à jamais perdus.

Mais faisons ici une parenthèse.
D’autres raisons à ces retrouvailles ont été avancées.
D’aucuns dirent que si Thierry avait retrouvé le chemin de l’écriture, c’est parce qu’il était à l’époque bon en course d’orientation ; ajoutant que si le goût lui en était revenu, c’est à sa fonction qu’il le devait : il était en effet en métropole officier de restauration.
Si ces deux raisons ont l’avantage d’être moins longues, elles sont aussi plus courtes. C’est pourquoi, évidemment, nous préférerons la première. Logique. Non ?
Refermons là l’apparente thèse.

Une joie nouvelle avait envahi le cœur de Thierry. A cette époque, il n’y avait pas de fumée sans feu, de incendie ni de un sans deux, de 207 ou de Sandero. Il y avait bien encore quelques 203 mais jamais deux sans trois. Et ce dicton se vérifiait : c’était en effet la troisième fois que l’écriture créative et récréative s’invitait dans la vie de Thierry.
Devait-il y voir un signe ?
Il décida que oui.

       Des missions ? Oui, démission !

A son retour en France, Thierry avait écrit une histoire de fée et de brosse à dent, un début de roman resté depuis inachevé, quelques short stories, des nouvelles à sa famille et une liste de course.
En lui, l’envie et le plaisir des mots s’intensifièrent, peu à peu s’imposant, balayant vingt ans d’hésitation et malheureuses croyances. Alors que Jeanne d’Arc entendait des voix, lui entendait trouver la sienne : désormais, il écrirait, sans plus renoncer, ni se déconsidérer !
Rapidement, son écriture pareille à un maître devint SI… Si prégnante qu’elle l’emportait, si forte qu’elle le transportait, Simone qu’elle le voiturait.
Pendant huit années, à l’heure où ne blanchit pas encore la campagne, il se levait. Voyez-vous, il savait qu’elle l’attendait. Il allait à sa table, ne pouvant demeurer loin d’elle plus longtemps. Il s’asseyait les yeux fixés sur ses pensées, sans rien voir au-dehors, sans entendre aucun bruit. Seul, inconnu, le dos courbé, les mains tapant sur le clavier.
Oui, chaque matin, il quittait son lit pour allait coucher avec elle sur le papier.
Oui, chaque jour il écrivait. Et puis, partait au travail.
Mais, dieu qu’il était difficile de concilier vie professionnelle et de famille, et, temps d’écriture. Un jour, il lui fallut faire un choix : demeurer dans un système rassurant, ô combien frustrant cependant, ou quitter l’armée, pour enfin exister. Envisageant le départ, il en parla à sa famille. Ses proches, bien que ne travaillant pas pour l’institution militaire, furent un temps alarmés, mais finirent, comme Johnny, par se faire à l’idée.

Alors, en 2018, à son travail il renonça. Sans regret.

Doté d’une solide motivation et d’une honnête pension, tel un vigneron cheminant dans sa cave parmi une centaine de tonneaux, il s’en fut.
Certains, jaloux sans doute des pensionnés de bonne heure, diront qu’une fois encore un militaire a préféré battre en retraite. A ceux-là, Thierry réservera un régime particulier : celui du silence, laissant au président en place le soin de trancher le nœud gordien d’une réforme des retraites, sans nul doute nécessaire.
Alors, il écrivit, écrivit et crivit. Mais, lui, qui n’avait été jusque-là qu’un écrivain dilettante, qui n’avait tété que le petit lait de l’espérance de valoir quelque chose, éprouvait cruellement ses défauts et ses manques, et ressentant l’irrépressible besoin de se confronter à la réalité de son art et au regard des autres.
L’heure était venue pour lui d’apprendre le métier d’écrivain.
Il chercha alors une formation, hésitant cent fois, se trompant plus encore. Mais l’erreur l’aiguillonnait ; en même temps l’aiguillait. Il savait que si une personne peut se tromper mille fois, on ne peut pas tromper une fois mille personnes, ni mille fois mille…, heu…mille… non… mille personnes mille fois… Non ! Non, on ne peut pas.
Et oui ! oui, répétons-le : il chercha. Au début, au milieu, un peu partout, mais ce n’est qu’à la fin qu’il trouva.
Esprit Livre.
Un organisme de formation par internet qu’il recommande d’ailleurs chaudement, et ce par tous les temps : été comme hiver, qu’il verse, qu’il pleuve ou tombe des cordes. Et quoi de mieux en effet pour aligner les mots que de suivre une formation en ligne ?
Et depuis, depuis… il a créé ce blog, écrit vingt-quatre nouvelles, participé pour Esprit Livre à l’élaboration d’un recueil d’histoires où couchent, bien au chaud, trois des siennes. Actuellement, il écrit un roman.

La vie est belle !

       Et la suite ? hé, la suite !

Belle était la vie de Thierry, mais l’avis de Thierry avait quelque peu changé. Peu à peu, un mal insidieux s’était emparé de lui.
La contradiction !
Il aimait être à la maison mais à trop y rester s’y sentait oppressé, il voulait du temps, il voulait écrire, il ne voulait plus d’emploi, mais seulement travailler, travailler, oui mais pas toute l’année. Il voulait gagner sur tous les plans, et surtout bien sa vie ! Et se réaliser ! en couple, en famille, dans l’écriture, dans un métier; pour ça, il voulait un tremplin, et non plus un temps plein !  
Mais comment conjuguer de tels antagonismes ?
On lui disait qu’il rêvait, que ça n’existait pas. Alors, sur internet il a cherché, alors en lui il s’est cherché, et, à la fin, il a trouvé : l’Economat Des Armées (EDA) ! 
Pour cet ancien militaire, c’était un signe. Il n’en croyait pas ses yeux, alors il les ferma.  Quand il les rouvrit, il était embauché !

« Vous serez responsable d’un bar et d’une bibliothèque, deviendrez tout à la fois Gentil 0rganisateur, gérant de coiffeurs et manager de supérette. Ce job, c’est pas un métier d’opérette ! Et hop, à l’étranger, quatre à six mois dans l’année ! Ne vous inquiétez pas, c’est bien payé ! Si vous y croyez, signez-là ! »

Alors, il signa d’un « crois », et partit pour le Tchad dans un camp militaire.

    C’est l’EDA qui l’aida !

Là-bas, il trouva tout ce qu’il avait cherché, et plus encore : la reconnaissance, la cohésion, l’esprit de groupe !
Il était en équilibre, enfin ! 
Depuis, il est revenu. Et, dans quelque mois il repartira. 
Ha, on lui avait dit qu’il rêvait ! Eh bien, il avait dans ce cas fait de sa vie un rêve. Et si c’était sans doute un tantinet exagéré, disons alors qu’il s’était bien amusé. 

Tiens ! peut-être même qu’il proposerait de rebaptiser l’entreprise. Elle était à quatre-vingt-dix-neuf pourcent civile, alors pourquoi pas l’Economat DésArmé ?